IntroductionLe développement du Rif (nord du Maroc) par la seule hasardeuse stratégie d’éradication de la culture du cannabis moyennant des projets alternatifs sans implication ni participation des populations autochtones n’est ni crédible ni porteur d’avenir.
En effet, la culture du cannabis, depuis son introduction aussi bien par les régimes qui ont gouverné le Maroc que par les autorités du protectorat Espagnol et Français, a toujours vécu entre l’autorisé et l’interdit. Les populations autochtones pauvres ont progressivement adopté cette culture tout en servant de manière inconsciente les intérêts économiques et politiques des gouvernants et leurs relais.
Ainsi, la problématique du cannabis, devenu entre temps patrimoine culturel de la région, ne peut être traitée uniquement sous des angles technico-économiques, comme la «correction» des insuffisances de développement de la zone sous la pression de l’opinion internationale. Ce qui est attendu, c’est la prise en compte de toutes les dimensions du problème, qu’il soit humain, sanitaire, social, économique et culturel du Rif, grâce notamment à la mise en place d’un cadre légalisé et réglementé tenant compte d’abord des intérêts des paysans et des habitants de la région.
Le développement réel de cette région, impose donc une stratégie et une vision d’ensemble où seraient associés et impliqués tout les concernés car la responsabilité ne peut être imputée aux seuls habitants du Rif qui n’en tirent d’ailleurs pas grand bénéfice.
Ce problème prend en effet naissance au Maroc mais son processus de croissance se poursuit au-delà de la rive sud de la méditerranée. Il ne doit pas se limiter aux pauvres paysans mais s’attaquer également aux trafiquants et barons de la drogue encouragés par quelques membres des autorités marocaines, ce qui constitue un danger potentiel car ces trafiquants peuvent se reconvertir à tout moment dans le commerce des drogues dures (Cocaïne, Héroïne) ou celui du trafic d’armes.
L’histoire de la culture du cannabis au Maroc
Le Maroc a connu la culture du cannabis depuis le 16ème siècle. Dans une première phase, cette culture s’est limitée à 5 villages dans le nord du pays entre la zone de Ketama et Bni-Khaled, couverte par l’empreinte du cachet légal, avec l’autorisation de Hassan 1er, vers 1890. Après l’occupation du Maroc par la France et l’Espagne, la culture du cannabis s’est renforcée, protégée par un cadre juridique, et s’est étendue à d’autres régions situées à la fois sous administration française et espagnole. Durant cette période, il a été procédé à la création dans la zone internationale de Tanger, de la « régie des tabacs et du kif » avec des capitaux français, et ce conformément à la convention d’Algerisas (1906). Aux termes de cet accord, il a été permis à cette société d’exploiter et même de monopoliser l’exploitation des récoltes du cannabis qui étaient d’abord destinées à la consommation traditionnelle locale. Au fil du temps, cette culture va être prohibée graduellement par voie législative durant cette même période d’occupation. L’avènement de l’indépendance du Maroc en 1956 verra l’interdiction totale de cette culture dans le pays.
Ces décisions prises de manière unilatérale, ont entraîné une tension au niveau des zones concernées par cette culture. Elles touchaient, en fait, la source de revenus des populations de cette région qui vivaient dans des conditions socio-économiques lamentables. Une situation consacrée et aggravée par la colonisation, mais aussi par les gouvernements d’après l’indépendance. Mais dans la réalité, l’Etat a été très laxiste envers cette culture, dans une zone limitée, notamment à Ketama. Mais, il n’a pas cessé de la combattre dans les autres régions, même timidement. Le problème est que cette interdiction n’a jamais été accompagnée de cultures alternatives. Une telle politique a provoqué l’extension des surfaces cultivées par le cannabis, au point que l’Etat a perdu tout contrôle. D’autres régions en dehors de la zone de Ketama ont été gagnées par cette culture, notamment suite à la hausse de la demande extérieure et la stagnation de l’économie marocaine. Au cours des 20 dernières années, cette culture a pu atteindre la totalité de la province de Chefchaoun, Larache, Tétouan et Taounat, pour arriver à couvrir environ 134 ha, contre seulement 10 ha dans les années 1970.
Les gouvernements successifs ont voulu combattre la culture du cannabis, sous prétexte de lutter contre le trafic illégal de drogue. Cette action s’inscrivait parfaitement dans le sens des discours et orientations de l’ONU et de la communauté européenne. Cet objectif a d’abord commencé par les zones gagnées récemment par cette culture, pour atteindre ensuite les zones traditionnelles de Ketama. Ceci ne s’est pas passé sans violation des droits humains. Bilan: grande crise au sein des populations de la région, crise aggravée par la politique traditionnelle de marginalisation et d’exclusion des gouvernements successifs à l’encontre du Rif. Ceci contredit, bien évidemment, plusieurs politiques nationales et internationales luttant contre la pauvreté, la fragilité et l’instabilité.
Situation des cultivateurs et leurs familles
Les surfaces du cannabis cultivées couvrent plus de 27% des surfaces agricoles sur l’ensemble du territoire de la région du Rif. Cette culture est destinée totalement à la production de la résine de cannabis destinée au trafic international de drogue. C’est ce qui a placé le Maroc au premier rang parmi les exportateurs de ce produit, et ce, pendant plusieurs années. Il alimente le marché mondial à concurrence de 40 % et ce taux est à hauteur de 80 % dans le marché européen. Cela montre l’ampleur des rentrées financières que cela représente et dont profitent essentiellement les mafias de trafic de drogue sur le plan national et international. Cela profite également aux pays qui ouvrent leurs frontières au blanchiment de cet argent. Selon des rapports officiels ces rentrées sont estimées à 4,6 milliards d’Euros en 2005.
Cependant, cette manne n’a aucune retombée favorable sur la situation économique des cultivateurs du cannabis au Maroc. Leurs recettes annuelles par individu ne dépassent pas 420 Euros en 2004, alors que le PIB/habitant s’élève à 1361 Euros pour la même année, selon les données officielles.
On estime même que le montant des revenus des cultivateurs de cannabis sont exagérément gonflés car en réalité, les cultivateurs produisent entre 6 et 100 kg de résine de cannabis, classée en 3 catégories. Une première catégorie de haute qualité d’une valeur de 700 Euros le kg, la deuxième catégorie d’une qualité moindre vendue à 300 Euros le kg et la troisième catégorie d’une mauvaise qualité, commercialisée entre 50 et 100 Euros le kg.
La grande majorité des cultivateurs sont producteurs de petites quantités de résine. Ils vivent dans des conditions très modestes, et arrivent à poursuivre la culture du cannabis souvent grâce aux petits crédits que leurs accordent certaines personnes aisées. En conséquence, ce sont les intermédiaires, les trafiquants et des éléments des autorités, qui profitent des revenus générés par la culture du cannabis au Maroc.
La situation perdure ainsi pour les paysans à cause de l’absence de réels alternatives économiques. En même temps, la marginalisation du Rif prive les habitants de cette région des infrastructures et des services publics dans tous les domaines. Il y a là un grave déficit en emplois et en infrastructures sanitaires, d’éducation, de communication, etc. Le niveau de vie au Rif est largement en dessous de la moyenne nationale, particulièrement dans les zones où le cannabis est traditionnellement cultivé.
Pour illustrer cette situation, il suffit de dire que la région de Kettama dispose d’une seule route goudronnée, une route nationale appelé la « route de l’unité » et qui a été améliorée l’année dernière pour la première fois depuis sa création en 1957, après qu’elle ait été complètement détruite. Sa remise en état a été rendue obligatoire car elle est la seule route qui relie le nord central au sud du pays. Toutes les pistes qui mènent vers les villages ont été ouvertes par les moyens propres des habitants en l’absence totale des autorités concernées et des conseils élus.
La population locale souffre également du haut degré de dépravation qui sévit dans les rangs d’une grande majorité des autorités locales et des organes de sécurité. Ces « responsables » rackettent les paysans pauvres en les obligeant à leur payer des sommes d’argent pour leur éviter l’accusation de cultiver du cannabis. C’est d’ailleurs une étrange accusation étant donné que la population de cette région s’adonne à la culture de cette plante depuis des siècles sous les yeux du monde entier. Ce qui nous amène à nous demander comment les autorités judiciaires peuvent accepter d’éventuels procès verbaux établis par la police, alors que la culture du cannabis n’est pas une culture clandestine ? Dans le cadre de sa politique de terroriser davantage la population, ces autorités malhonnêtes essaient d’impliquer le plus grand nombre des cultivateurs dans les listes des personnes recherchées par les services de sécurité afin de pouvoir les accuser et ensuite les soumettre au chantage.
Dans cette situation, les habitants de Ketama vivent «en liberté provisoire», soumis en permanence à la menace des services de police. Même la mobilité géographique de ces paysans se trouve très limitée car ils ont toujours la crainte d’être arrêtés.
Une autre technique est utilisée par les autorités pour imposer leur diktat aux paysans : on les accuse d’avoir grignoté des surfaces appartenant aux eaux et forêts. Même si cela est vrai dans beaucoup de cas, il faut néanmoins préciser que les terrains des eaux et forêts ont été pris aux habitants sans leur concertation ni consentement.
Les agriculteurs du cannabis dans ces régions historiques n’ont pas d’autre alternative que de tenter de s’insérer dans les réseaux de trafic illégal de drogue. Et ce, en l’absence des véritables autres solutions. Au jour d’aujourd’hui, ces paysans sont en effet abandonnés à leur dure réalité, par l’Etat marocain, par les institutions de coopération internationale et même par les ONG à cause de leur inefficacité et leur incapacité à créer une dynamique susceptible d’assurer la défense des intérêts des agriculteurs.
Les résultats des cultures alternatives:
Dans le contexte de la lutte contre le trafic illicite de drogues, il a été décidé au niveau international, une stratégie pour la promotion des cultures alternatives, expérimentée dans des pays comme la Thaïlande en 1969, la Turquie en 1970, le Pérou en 1981 qui consiste à inciter et encourager les populations à s’orienter vers des cultures légales qui assurent des revenus équivalents ou même dépassant ceux de cultures non-légales auxquelles ils s’adonnent. Comme résultat, le rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants en 2005, a montré l’inefficacité de cette stratégie en se basant sur les expérimentations menées dans les montagnes du Liban et au Maroc dans le Rif, ce qui a amené les tenants de cette stratégie à la changer pour une autre stratégie plus globale dans le cadre d’un développement alternatif qui lui-même rencontre beaucoup d’obstacles.
En plus des cultures alternatives, le développement alternatif se base sur une approche globale qui privilégie les grands chantiers avec la création des infrastructures en vue d’insérer ces populations et de les intégrer dans le tissu économique national. Mais confrontée à la réalité, cette politique a montré son inefficacité, laissant les populations dans le même état de confusion et sans perspectives, ce qui a déçu la communauté internationale. Le rapport de l’Organe international de contrôle des stupéfiants a mis en évidence que la cause de l’échec réside dans le fossé entre l’intérêt de l’Etat et les attentes des populations.
La dimension culturelle du cannabis
Les systèmes culturels de la société sont composés déléments matériels et immatériels considérés comme indissociables; le patrimoine culturel constitue la dimension immatérielle tandis que celle relative à l’aspect matériel favorise les conditions d’expression du développement durable. Le patrimoine culturel doit donc être reconnu et enrichi afin quil puisse devenir une véritable réalité. Ainsi, toute personne, toute agence investie dans les défis que pose le développement, reconnaît que ces objectifs matériels ne peuvent être atteints par des moyens uniquement matériels. En effet, dans l’aire géographique de la culture du cannabis, les paysans manifestent, lors des cérémonies coutumières, par exemple le moussem de Tidghin, l’incarnation du caractère sacré de cette plante, ce qui montre son importance dans les traditions locales. Cette dimension culturelle, voire spirituelle est partie intégrante des coutumes de cette région. Il est donc impératif d’en tenir compte, dans le cadre d’une stratégie de développement globale.
Réflexion sur la légalisation du Cannabis pour développer le Rif (Nord du Maroc)
Actuellement au Maroc, le débat sur la légalisation du cannabis s’impose et devient une réalité. Cette situation informelle avec les risques encourus en termes d’environnement, d’impact sur les volets social, économique et politique n’est plus une solution réaliste et des nouvelles approches pour la culture du cannabis au Maroc doivent être mises en place pour différentes raisons notamment :
l’échec constaté de la politique de la lutte contre le trafic illicite des drogues, et les cultures alternatives dans les régions historiques.
les atouts éventuels de la culture:
En terme de spécificité de la région, produit de terroir,
En terme de patrimoine culturel de la région,
En terme de la sauvegarde de la biodiversité naturelle,
En terme de diversification de la valorisation de cette ressource,
En terme d’amélioration des revenus des ruraux du Rif,
En terme de développement du tourisme rural,
En terme de retombées financières.
La nécessité d’une vraie stratégie de légalisation du cannabis pour des raisons de:
Reconnaissance: le cadre illicite a toujours été source de problèmes,
Perspective d’élaborer des programmes de recherches pour s’orienter vers d’autres usages thérapeutiques, pharmaceutiques et industriels en particuliers,
Recherche de projets alternatifs en associant les paysans.
Optimiser le rôle de la coopération internationale dans ce domaine,
Assainissement de l’environnement global de la région qui subit l’emprise du trafic de la drogue sur le plan social, politique, économique et culturel.
De nombreuses définitions «opérationnelles» du développement durable sont proposées mais aucune ne peut satisfaire simultanément les besoins légitimes de tous les individus, et des peuples qui cherchent à le mettre en oeuvre. Cependant, les dimensions sociales, économiques, culturelles et environnementales du développement restent toujours les fondements essentiels qui permettent de latteindre.
Il vise trois objectifs :
Maintenir lintégrité de lenvironnement, cest-à-dire intégrer la préoccupation du maintien de la diversité des espèces et de lensemble des écosystèmes naturels,
Améliorer léquité sociale, cest-à-dire permettre la satisfaction des besoins essentiels de la communauté humaine en améliorant leurs qualités de vie, en respectant leurs droits et libertés et en les faisant participer au processus de prise de décision,
Améliorer lefficacité économique, cest-à-dire favoriser une gestion optimale des ressources afin de permettre la satisfaction des besoins des communautés humaines.
Ainsi, la légalisation du cannabis comme étant la seule solution pratique pour les régions historiques de la culture de cette plante, permettra de pallier à la difficulté de mettre en places des projets alternatifs. Les défis de la bonne gouvernance, de la sauvegarde de la diversité culturelle et de la biodiversité, et du développement démocratique ne peuvent être abordés en ordre dispersé. Ils doivent être appréhendés dans un cadre unique, légal et légitime pour atteindre les objectifs du développement durable et faire face aux enjeux qu’impose la mondialisation en terme de libéralisation des échanges commerciaux, sécurité alimentaire, changement climatique, et poids du coût des énergies et du processus de démocratisation. Pour cela, des instruments et moyens sont à mettre en œuvre pour atteindre le développement auquel tous les Rifains aspirent. Il s’agit:
des instruments à caractère institutionnel et juridique,
la loi de la montagne pour éviter l’extension de la culture avec la délimitation de l’espace forestier en associant les vrais représentants de la population,
l’écartement de la logique de répression,
l’engagement et mesures sur la baisse de la demande, surtout étrangère, en ce produit,
le caractère ancestral et social de la culture du Cannabis du Rif,
l’élaboration des programmes nécessaires à la recherche,
la mobilisation des fonds et des populations pour l’adhésion à la stratégie,
la programmation et le suivi des actions retenues,
le développement intégré du Rif (désenclavement, urbanisation, remembrement des terres, l’organisation des producteurs de cette culture).
Conclusion
Le développement intégré du Rif est un problème complexe et nécessite une vraie stratégie pour que les populations adhèrent fortement et ne soient plus aussi durement affectées par la seule approche de l’éradication du Cannabis. C’est un problème historique, culturel et favorisé par les conditions difficiles du terrain (pauvreté, relief accidenté, etc.) et la marginalisation.
En effet, les solutions doivent être recherchées, en prenant en considération les volets historique, et culturel, dans la légalisation de la culture à travers la mise en place d’une stratégie globale et moyennant un certain nombre d’actions, de mesures et de règlements permettant de dépasser les blocages existants et ouvrir le dialogue avec l’ensemble des concernés.
Aussi, la stratégie en question devra prendre préalablement en considération lors de son élaboration certaines actions comme la tenue d’un séminaire international au Maroc sur le Cannabis, la politique de l’émigration et salariale à mettre en place à l’égard des travailleurs et paysans, la légalisation des dérivés du cannabis en Europe, la rationalisation de l’espace géographique de la culture du cannabis, l’élaboration de la loi sur la montagne, et en fin le projet sociétal voulu pour le Rif.
Barcelone 29 janvier 2009